samedi 10 septembre 2011

L'horizon et les frontières

Ce projet, écrire sur des recueils de poésie, tenter d'en capter l'essence tout on évitant d'en faire l'analyse, est né dans le cadre d'un séminaire sur la poésie américaine contemporaine conduit par Michael Snediker à Queen's University in Kingston. L'une des questions centrales que j'ai eue à me poser dans le cadre de ce cours a été de découvrir comment on parle de poésie. La chose peut paraître étrange : être étudiant en Lettres, n'est-ce pas justement être capable de parler de littérature, peut importe le genre ou la forme?
La poésie pose un problème particulier, en ce sens que l'analyse en est souvent plus facile que la lecture elle-même : n'est-il pas beaucoup plus facile d'analyser le poème, d'en faire l'examen — l'autopsie, peut-être — employant pour ce faire ce discours convenu et hermétique propres aux études littéraires, que de chercher à se mesurer à cette unité plus complexe et plurivoque dans laquelle le poème s'offre au lecteur : le recueil. Est-il possible de parler de la lecture du poème sans en faire l'analyse?
Le fait est que je n'ai que partiellement trouvé un réponse à ma question initiale — comment parle-t-on de poésie? — mais que j'ai à tout le moins fais la découverte suivante : parler de poésie, c'est beaucoup plus un parcours qu'une destination.
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Le choix de texte que je commenterai ici surprendra certains, mais se veut la continuation des recherches que j'effectue dans le cadre de mon doctorat. Que la poésie québécoise soit liée de façon intime à une américanité qui la ceinture — géographiquement, historiquement, mais surtout idéologiquement — cela ne fait pour moi aucun doute. Pour parler de poésie contemporaine, il faut, pour ainsi dire, comparer les oranges avec les oranges. Malgré des différences importantes au niveau des institutions, le Québec a beaucoup plus en commun avec les États-Unis — et, qu'on ne l'oublie pas, avec le Canada anglais — qu'avec une Europe face à laquelle nous sommes à la dérive, malgré le Français qui nous maintiens en orbite autour de la France, notre relation avec la vieille métropole n'étant que trop rarement interrogée, sondée, questionnée.
Comment peut-on en être arrivé à un point où tous les étudiants peuvent être familiers avec Baudelaire, Rimbaud, Mallarmé, avec toute ce vaste — et magnifique — héritage qui est celui des classique de la littérature française, tout en ignorant ces autres, ces Walt Whitman, Emily Dickinson, ces Robert Frost et ces Wallace Stevens?
Le projet national québécois — cet éternel projet auquel nous ne sommes probablement pas près de trouver un réponse, ou du moins un réponse qui permette de clore le débat de façon satisfaisante pour une majorité — en se tournant vers l'Europe, a cherché à s'isoler de ce monde-ci, de cette Amérique dont on aime tant dire du mal : bombardés comme nous le sommes de séries télé américaines, de films américains, d'une littérature populaire américaine, quelle est la place du Français autrement que comme support de traduction, en dubbing ou en sous-titres?
Mais est-on à Montréal et à Québec comme on l'est à Paris? Ou ne devrions-nous pas chercher à nous reconnaître davantage du côté de Toronto, de Vancouver, de New York, de Dallas, de Boston? Car malgré la distance imposée par la langue, ne reconnaissons-nous pas en nous une fibre commune, une Amérique ressentie dans ce qui est communs à nous nord-américains : nos autoroutes, nos maisons en banlieue, nos familles nucléaires, nos hypothèques et nos voitures, notre hockey, notre baseball, notre territoire où nous québécois (canadiens-français, pour être plus précis historiquement), plus que bien d'autres, avons inscrits nos noms français dans les lieux où l'idée même d'une Amérique française n'est plus qu'une mémoire lointaine, une dérision?
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C'est donc pour ces raisons-là que j'ai choisi d'attaquer ces textes, qu'ils soient écrits en anglais ou en français, qui constituent cet ensemble informe, plurivoque et difficile, ce que l'on appellera la poésie nord-américaine contemporaine. Tout en choisissant d'être ouvert dès le départ à lire et à commenter des textes écrits en français ou en anglais, je me suis imposé certaines limites. Il y a d'abord celle de l'américanité elle-même; il sera question ici d'auteurs qui vivent et écrivent en Amérique du Nord. Bien que j'aborderai une pluralité de voix, et bien que je rencontrerai différentes optiques, je tiens à aborder chaque auteur de façon individuelle, on his own terms; je veux surtout éviter d'adopter le point de vue d'une école de pensée particulière : gender studies, african-american studies, LGBT studies, ou même celle des études québécoises. Ce n'est pas dire que mon optique se veut celle de la majorité, mais plutôt tenter de rester ouvert à des voix qui n'ont souvent en commun que leur individualité.
La seconde contrainte, beaucoup plus artificielle, est d'ordre temporel. Je me limiterai à des recueils publiés après 1990. Non seulement la majorité de ces auteurs sont encore en vie et poursuivent de façon active un travail poétique, mais la majorité d'entre eux n'auront pas encore été récupérés par l'institution littéraire. Ils n'appartiennent pas encore à une histoire, à un corpus défini; leur place, le plus souvent, demeure à définir. Ces auteurs présentent aussi l'avantage important que l'on a peu écrit à leur sujet. La discussion, en ce qui les concerne, ne fait que commencer.

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