vendredi 9 septembre 2011

The Wild Iris


Louise Glück. The Wild Iris. HarperCollins, 1992.

Le premier poème de The Wild Iris ouvre le paradigme qui construira le recueil en entier : une vision du ciel printanier, vu à travers les branches de pin; une lumière furtive, à demi-masquée par la végétation. La fleur du titre émerge du sol, après un long hiver dont la fin marque l'émergence d'une voix venue nous dire la terreur de la survivance.
It is terrible to survive
as consciousness
buried in the dark earth.
Même dès les premières lignes, alors que les fleurs qui assurent la narration de la majorité des textes dans The Wild Iris reviennent à la vie pour se baigner dans la lumière encore faible du soleil, l'émotion dominante est celle d'un deuil : quelque chose, dès le départ, est perdu. Une impression qu'un sens d'appartenance a été perdu, que les fleurs se trouvent à la fois lancées et abandonnées dans le monde par un créateur qui fera figure de jardinier, et avec lequel elles désirent reconstruire une proximité. Mais cette séparation, et le silence qui la souligne, est irréparable, comme dans l'une des dernières sections de la série "Matins" :
I am ashamed
at what I thought you were,
distant from us, regarding us
as an experiment: it is
a bitter thing to be
the disposable animal
Le succès du travail de Glück tient peut-être en partie de la façon dont elle déjoue le fait que ce sont ici des fleurs qui parlent, et de la surprise qui en découle pour le lecteur. Une tension s'installe entre la terre d'où cet iris émerge dès la première page, et cet ailleurs, peut-être le ciel, où règne un jardinier — identifié à Dieu, présence démiurgique qui reflète à la fois les aspirations des fleurs — et les nôtres — de même que leurs craintes. Cette conversation résulte toujours en un échec; les prières des fleurs demeurent ignorée alors que ce jardinier répond avec des sermons que les fleurs sont à jamais incapables d'entendre, bien qu'elles en soient les destinataires. C'est cet échec, cette impossibilité d'établir une connexion avec l'Autre, de répondre à ses besoins, qui se trouve au centre même de ce que Glück cherche à communiquer. La voix du démiurge exprime très bien cet profonde incommunicabilité dans "Sunset", à quelques pages de la fin de The Wild Iris, alors que l'été s'achève :
My great happiness
is the sound your voice makes
calling to me even in despair; my sorrow
that I cannot answer you
in speech you accept as mine.
Ce dieu/jardinier n'arrive jamais à éprouver de satisfaction face à sa création. Cette vision qu'il avait, ce ce qui dans sa création aurait dû être amour pour lui se perd; les fleurs ne verront jamais au-delà du monde qui les entoure, création à perte de vue :
And all this time
I indulged your limitation, thinking
you would cast it aside yourselves sooner or later
thinking matter could not absorb your gaze forever —
Cette humanité qu'il voit à jamais replié sur elle même, éperdue d'apitoiement, occupée à lamenter son sort, comment ne pas en être déçu? Mais cette supposée incompréhension dans laquelle les fleurs se perdent, ne masque-t-elle pas que le monde ne pourra jamais avoir accès à quoi que ce soit qui le dépasse, c'est-à-dire, que le monde est sa propre limite? Ce qui pour le créateur est une profonde insuffisance, pour la créature, c'est un douloureux arrachement.
La construction temporelle du livre est complexe, suivant à la fois le cours d'une journée — les prières matinales, « Matins », faisant progressivement place à celles qui marque la fin d'une journée, « Verspers », jusqu'à la tombée de la nuit — et celui des saisons, du printemps à l'automne, quand le lys blanc est la toute dernière fleur qui reste, avant que l'univers végétal ne retourne au sommeil de l'hiver. La vie semble éternelle en été, et son déclin éventuel avec l'arrivée des temps froids automnaux marque la fin du livre, le retour au début du cycle.
Hush, beloved. It doesn't matter to me
how many summers I live to return :
this one summer we have entered eternity.
I felt your two hands
bury me to release its splendor.
L'opposition entre la vie et la mort, l'été et l'hiver, c'est aussi celle de la voix et du silence : revenir à la vie, c'est aussi revenir à la parole.
whatever
returns from oblivion returns
to find a voice
Cette parole que les fleurs s'approprient — il n'est pas superflu de répéter que ces fleurs qui parlent ne le font à aucun moment sous le signe du kitsch; la force du recueil provient justement de ce que cette parole a d'impitoyable et d'amer, du fait que cette beauté demeure jusqu'à la fin trompeuse — elle se tourne toujours vers le ciel. La Foi, pour Glück, est un amour désespéré, un amour qui ne trouve jamais de réponse; les fleurs, le jardinier, ce sont là deux pôle d'une conversation qui demeure impossible.
We never thought of you
whom we were learning to worship
We merely knew it wasn't human nature to love
only what returns love.
Le ciel face auquel on se tourne, dans sa grandeur infinie, est d'une immensité à laquelle on ne peut se mesurer. De là la certitude de ne pas être à la hauteur, ce dégoût d'elles-mêmes que les fleurs éprouvent. L'infranchissable distance entre les fleurs et le jardinier cosmique les définit; ce regard languissant tourné vers le créateur les brûle. Si la Foi qu'implique cette contemplation du ciel consume, elle le fait parfois jusqu'à la destruction.
I knew nothing; I could do nothing but see.
And as I watched, all the lights of heaven
faded to make a single thing, a fire
burning through the cool firs.
Then it wasn't possible any longer
to stare at heaven and not be destroyed.
Derrière la simplicité du langage que Glück décrit comme l'un des éléments centraux de son œuvre se cache une force de frappe émotionnelle dévastatrice. "The Red Poppy", par exemple, après nous avoir laissé lire une rafraîchissante légèreté, nous abandonne à une finale qui nous ramène à ce ton si caractéristique du recueil :
Because in truth
I am speaking now
the way you do. I speak
because I am shattered
Louise Glück, née en 1943, est l'auteure de nombreux recueils de poésie, parmi lesquels Vita Nova (1999), récipiendaire du prix des lecteurs du New Yorker, et The Triumph of Achilles (1985), qui s'est vu octroyé le National Book Critics Circle Award. The Wild Iris a remporté le prix Pulitzer en poésie pour 1993. Elle habite à Cambridge, Massachussets, et enseigne à Williams College.

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