jeudi 13 décembre 2012

Piano

René Lapierre. Piano, Les Herbes rouges, 2001.

Piano, publié en 2001, se place sous le signe de la transition, et ce de plusieurs façons. C’est un texte distinct des recueils précédents, d’Une encre sépia (1990) à Love and Sorrow (1998), lesquels proposaient une construction où la discontinuité était dominante, où chaque page était toujours un renouveau; ici devient visible, discrètement, la résurgence d’une intuition romanesque qui marquera de façon plus prononcée encore la construction des deux recueils qui suivront, L’eau de Kiev (2006) et Traité de physique (2008) tous deux profondément ordonnés par une certaine continuité, prise comme motif de construction du recueil plutôt que comme trame narrative à proprement parler. Cette continuité de plus en plus grande, où les déplacements temporels ne sont plus des brisures, mais des glissements qui évoquent le travail de la mémoire, mènera à son paroxysme l’interrogation des genres, cette question posée au lecteur comme à la poésie — qu’est-ce donc que la poésie, quand on en soustrait jusqu’aux apparences; ces deux livres, beaucoup plus que Piano, s’approcheront du romanesque, et répondront en partie à cette question du genre: jusque dans la vie, dans la mémoire, on ne sort jamais de la poésie.

Piano se présente comme une enquête syncopée menée par le détective trop honnête, Paschetti, homologue du célèbre personnage de Chandler, Philip Marlowe — l’homme romantique qui évolue au sein d’un monde corrompu sans pour autant être corrompu à son tour — mais l’enquête est illusoire; nous n’y avons accès que par brides. Qui est recherché? La marina Clayborne, introuvable, inexistante, devient deux pages plus tard la tombe de «Marina Clayborne, née Jameson» (p. 22) Glissement continu de l’objet de la quête, impossibilité de réconcilier toutes ces scènes; ce n’est pas qu’il y ait des ellipses, c’est que la continuité se donne dès le départ comme étant problématique. Elle est dénoncée, sabordée, évacuée. Ce n’est pas un hasard si Paschetti lui même revient d’entre les morts: quand on l’avait rencontré, la dernière fois, il se mettait une balle dans la tête dans Fais-moi mal Sarah (1996). Et aussi Alissa, femme fatale de service, qui réapparaîtra et reviendra hanter le texte, bien qu’on ne puisse jamais vraiment décider si elle est la cliente ou l’objet de la quête de Paschetti.

    Lapierre, comme il le fait souvent, emprunte ici le discours du roman noir pour lui faire dire autre chose. «Le garçon reprit le téléphone, rafla le pourboire avec une voracité d’oiseau et disparut dans les hauteurs. La chanteuse s’enfonçait lentement.» (p. 16) À la dérision intrinsèque de la langue du roman policier — Lapierre lui-même écrira un texte sur ce sujet, soulignant que le rapport dépréciatif de la langue par rapport au réel qui se trouve au coeur de l’esthétique du roman noir est trompeuse, qu’elle a sa valeur littéraire propre, qu’elle nous parle de façon unique — s’allie une conscience du mouvement, du déplacement qui est constante chez Lapierre: l’oiseau disparaît dans les hauteurs, la chanteuse s’enfonce. Déchirement entre le haut et le bas, ces pulsions irréconciliables qui animent le texte.
Descends dans la terre.

Accorde ta voix
à la voix contraire.

Qu’elle te déchire et te brise de joie. (p. 55)
Ces deux pôles en apparence irréconciliables, le déchirement et la joie, on les retrouve d’une certaine façon chez Paschetti, dans cette opposition interne et irréconciliable à laquelle nous avons fait allusion, cette distance entre le travail du détective prive, si près de la rue, des caniveaux, de ce que la réalité urbaine a à offrir de déchets et désoeuvrement, et le regard de Paschetti, qui incarne si bien cette figure romantique de l’incorruptibilité. Paschetti seul descends vers le bas sans y être anéanti. Quand on tente de le passer à tabac, dans les toutes dernières pages du livre, même après avoir été cloué au sol et roué de coup, il se relève et triomphe de ses agresseurs, comme par magie. C’est plus qu’un trope du roman noir — bien que ce soit cela aussi, à n’en pas douter: ce qui tombe, ce qui se relève, c’est ce par quoi on aperçoit ces deux autres lieux toujours présents dans la poésie de Lapierre, le haut et le bas, rendus visibles par un mouvement qui n’est jamais une simple chute ou une ascension: avec ces deux lieux en viennent à se confondre des réseaux de connotation en apparence opposés, plaisir et souffrance, noirceur et lumière, absolution et perdition. «Lèche la terre tandis que tu y es; la neige-plomb, la terre-poivre, regarde, descends encore, enfonce-toi dans le limon, la nostalgie merveille, l’âme saoule que tu baiseras bientôt en gémissant.» (p. 49) Rien n’est simple ici, et la douleur, bien plus qu’une simple souffrance, est ce vers quoi l’on se tend, ce qui nous illumine, ce qui est sens cesse souligné par la juxtaposition de ces images de contrastes puissants.
Tu ne seras jamais assez pauvre
jamais assez seul
pour lui dire oui.

Oui à l’ombre ouverte, au silence de la terre:
l’autre gouffre, l’autre clarté. (p. 10)
La pauvreté — on pensera à celle, toute aussi complexe et rédemptive, de Job — permettrait d’accepter, d’avoir accès à ce qui se trouve en bas, ce gouffre, cette clarté. Cette chose à laquelle on dirait oui, ce sera à la fois une catastrophe et un triomphe, mais ça ce trouvera de toute façon à l’ultime limite du programme poétique; au-delà de cette descente, tout dépasse la portée des mots. On entre dans une indicible lumière.
Tu embrasses le vide à pleine bouche et ses baisers te lavent de toute faute. Absolution, bénédiction de ta détresse, du néant que goûtent tes lèvres. Descente, descente, allègrement.

Maintenant tu peux t’évanouir, dors mon ange tu es libre, tu es pardonnée. (p. 50)
René Lapierre, né en 1953, est professeur à l'Université du Québec à Montréal, où il enseigne la création littéraire. Il est l'auteur de plusieurs essais, parmi lesquels Écrire l'Amérique (1995), L'atelier vide (2003), L'entretien du désespoir (2008) et Renversements (2011). Ses nombreux recueils de poésie incluent :  Là-bas c'est déjà demain (1994), Love and Sorrow (1998), Piano (2001) et Traité de physique (2008). Son recueil le plus récent, Pour les désespérés seulement, a été publié chez Les Herbes rouges en 2012.

vendredi 9 mars 2012

L'eau de Kiev

René Lapierre. L’eau de Kiev, Les Herbes rouges, 2006.
L’Amérique, dans l’univers littéraire de René Lapierre, est un lieu animé par son propre effondrement,  par la fatigue de ses rêves, mais où l’espoir, si dérisoire soit-il, demeure cette lumière, cette illusion qui est l’objet d’une ferveur presque religieuse.
Derrière, jusqu’au bout de la rue les maisons croulaient sous le poids de la lumière dorée, Klondike. C’était beau. Pourquoi, il n’aurait pas su dire, ni comment ce trou dans le coeur, ni où ni quand le tumulte s’achevait : baraques, nimbus, calicot. (p. 11)
C’est un monde peuplé de paumés, pauvres ou riches, qui n’ont souvent pour bagage qu’une douleur sans nom, ou alors un vide qui arrive à peine à se dire.
On est témoin, dans L’eau de Kiev, à la fois de la tentation et de l’échec du roman, de cette tension qui semble si essentielle au projet poétique de René Lapierre, et qui atteint ici quelque chose qui ressemble à un point limite. Les deux principaux personnages que l’on suit, qui se répondent indirectement, seront déjà connus des lecteurs des recueils précédents de Lapierre; Paschetti le privé et Solomon, le poivrot en exil, en qui tout fini par se confondre, qui englobe en sa mémoire un pays en entier, la Russie, ses paysages, et surtout une femme, Lyouba, perdue à jamais. C’est le souvenir de Lyouba que Solomon cherche à noyer sous des quantités prodigieuses d’alcool, sans pour autant arriver ni à l’oubli, ni à la mort. Cette Lyouba qui lui réapparait par moment, hallucinée, avant que tout ne chavire, que Solomon, dans un asile psychiatrique, n’ait plus rien d’autre que ces quelques souvenirs en bribes auxquels il se raccroche en vain, de même que cette mémoire des lieux, dont la présence et l’arrachement semblent tout aussi douloureux que toutes ces autres choses que Solomon a dû sacrifier au Dieu de la détresse.
La nuit, la tristesse et la honte le tuaient. L’alcool aussi: brandy and stout. Mais il faut beaucoup d’alcool, beaucoup de temps pour tuer un Russe. (p. 71)
Ce sont sur les clichés de ce genre, employés avec parcimonie et toujours de façon bien consciente, que repose un humour ironisant qui n’enlève rien à la noirceur du recueil dans son ensemble. C’est plutôt que les personnages de Lapierre semblent être bien conscients de leur statut de fictions, que l’ironie et l’humour viennent les cimenter dans leur rôle.
Il serait difficile, comme nous l’avons mentionné plus haut, d’aborder le projet poétique de René Lapierre sans confronter sa nature hybride, laquelle n’est justement hybride qu’en surface. La tentation du roman d’aller vers la poésie, celle de la poésie d’aller vers le roman, c’est en bout de ligne leur insuffisance à tous deux à vraiment faire ce que Lapierre exigerait d’eux, c’est-à-dire rendre compte d’une façon pleine, et donc nécessairement polyphonique, de ce nouement qui est cette poussée des scènes et des situations jusqu’au seuil de l’insoutenable, vers ce moment d’intensité maximale, lequel ne peut jamais se dire directement. Pour y arriver, il faut prendre des détours, par le tressage de ces deux modes discursifs. La douleur et le vide, Lapierre a ainsi deux voix pour nous les rendre présents. Et ça fonctionne, ici sans doute plus encore que dans les recueils précédents. Le vers et le quasi-roman se répondent, produisent du contenu sans nécessairement le rendre manifeste, de façon sobre, sans que leur connexion ne soit explicitée. Des échos, seulement, à peine.
Touche seulement

Appuie tes mains
tes paumes
contre le ciel

Sur l’eau pâle du vent
la lumière de l’eau (p. 148)
Sous cette histoire de Paschetti et de Solomon se cache aussi cette présence obsédante des lieux, de la matérialité des paysages, par ailleurs jamais bucoliques, qu’on ne peut taire. Alors que Solomon chavire enfin, que tout se perd en lui à la fin du recueil, ce sont les lieux eux-mêmes qui émergents, à peine habités, cette Russie à laquelle il n’appartient plus, mais aussi Londres, et l’Amérique enfin. C’est sur cette dernière que s’est depuis toujours concentré le travail de Lapierre, et ce depuis le début de son travail d’écrivain. Mais c’est une Amérique au bout du rouleau, qui, tout comme ses personnages, menace de sombrer dans le néant, de s’effondrer.
Sous les arches de Riverside Drive, dans la brume de six heures, s’élèvent des nefs de rouille et de béton. Trente mètres plus haut mugissent des camions. Bitume, ferraille: ça râle, ça n’en peut plus de tirer, de s’agripper. Laisse tomber; rentre chez toi veux-tu. (p. 27)
On notera aussi cette autre constante pour l’auteur, ce pathos qui ne semble pouvoir se dire qu’à travers la référence à un langage de la dévotion, lequel ne paraît renvoyer à aucune pensée ou croyance proprement religieuse. Parler du «dieu de la détresse», du «dieu de la frayeur», ce n’est évidemment pas l’expression d’une Foi chrétienne; c’est quelque chose de bien plus primaire, l’essence de la dévotion sans le dogme; les personnages de Lapierre ont encore l’espoir, contre toute attente, d’être sauvés. L’évocation du divin, soit par un appel explicite, soit par un recours à l’imagerie langagière, c’est avant tout se raccrocher à une exigence éthique de la parole. C’est aussi, à la lumière de cette chandelle que garde allumée la dévotion éperdue et désespérée des personnages de Lapierre, souligner la noirceur à laquelle ils n’échappent jamais.
Solomon essaya de repenser aux paroles du révérend mais la fatigue l’en empêcha. Ses souvenirs pâlissaient, des pans de falaise s’effondraient dans la mer. Son estomac lui faisait mal.
Il prit un sachet d’antiacide et le versa dans le rhum tiède, qui s’auréola de mousse. (p. 41)
René Lapierre, né en 1953, est professeur à l'Université du Québec à Montréal, où il enseigne la création littéraire. Il est l'auteur de plusieurs essais, parmi lesquels Écrire l'Amérique (1995), L'atelier vide (2003), L'entretien du désespoir (2008) et Renversements (2011). Ses nombreux recueils de poésie incluent :  Là-bas c'est déjà demain (1994), Love and Sorrow (1998), Piano (2001) et Traité de physique (2008). Son recueil le plus récent, Aimée soit la honte, a été publié chez Les Herbes rouges en 2010.

jeudi 23 février 2012

Plus haut que les flammes

Louise Dupré. Plus haut que les flammes. Le Noroît, 2011.
Une femme, suite à une visite à Auschwitz, médite sur la possibilité — ou sur l’impossibilité — de continuer à vivre, de continuer à être témoin et protectrice du bonheur d’un enfant qui grandit en dépit de l’horreur dont le monde est capable, en dépit du meurtre de millions d’hommes, de femmes et d’enfants dans les camps de la mort. Le sujet n’est pas nouveau. Mais la grande réussite de Louise Dupré est ici de rendre cette horreur à nouveau présente, vivante, et en même temps de souligner la nécessité de son dépassement. Être parent,, comme l’est le «tu» anonyme du livre, c’est à la fois être témoin de cette épouvante qu’est le monde et élever des enfants qui ignorent tout de cette terreur, dont l’innocence semble faire des victimes parfaites; c’est tenir l’enfant «plus haut que les flammes», chercher désespérément à les protéger et, à travers eux, à nous sauver nous-mêmes.
Le texte s’ouvre avec un retour à la parole, la fin du mutisme imposé par la visite en Pologne. Mme Dupré elle-même a confié en entrevue que cette expérience l’a contrainte à un silence de près d’un an avant que la parole, l’écriture, ne se réaffirme, par nécessité.
c’était après ce voyage
dont tu étais revenue

les yeux brûlés vifs
de n’avoir rien vu

rien sinon des restes (p. 13)
Il y a toujours cela, les souvenirs de ces objets vus au musée à Auschwitz, les vêtements, petits manteaux et robes, mais surtout ce biberon cassé, dans une vitrine, qui représente sans doute mieux que toute autre chose l’insoutenable violence que l’on fit subit aux enfants, et que l’on a documentée, dont on a fait l’inventaire, n’en saisissant sans doute que rarement la cruauté, ce mot même semblant trop faible.
comme ces enfants
sur les photos de Birkenau

croquées juste avant l’arrachement

leurs cris crevés
qui hantent encore
le champs (p. 22)
Divisé en quatre parties, Plus haut que les flammes, c’est un seul long poème qui se relance toujours, qui arrive à reprendre tout en menaçant souvent de se tarir. La voix se brise, par moment, dans la précision implacable de ces phrases dénudées, sans ponctuation, où tout n’est que cassure.
Trois lieux se rencontrent ici, s’entremêlent. Cette visite, tout d’abord, au musée à Auschwitz, qui ouvre le poème, suite à laquelle tout semble chavirer pour la mère, à moins que la terreur n’ait toujours été là, en sourdine, et que le poème nous donne ici à lire son irruption. L’holocauste lui-même, qui est vécu par bribes imaginées, instants où le surgissement de l’horreur se fait immédiat: on meurt, là, devant soi: des millions d’être humains partent en fumée. Ou encore, l’image devient couleur, comme le rouge de l’oeuvre du peintre Francis Bacon, auquel l’auteure fait référence à plusieurs reprises. Et enfin, ce troisième lieu, qui occupe la plus grande partie du recueil, mais contaminé par la douleur de l’histoire, la présence de l’enfant auprès de la mère, la vie qui continue, qui doit continuer, le bonheur de l’enfant en dépit de la hantise qui afflige la mère.
les mère ne savent pas
dans quelle violence
finiront leurs enfants (p. 28)
Cette écriture toute en minuscules —littéralement—, sobre, dévastatrice de par son efficacité, réussit là où l’on aurait pu s’attendre à ce qu’elle trébuche: en évitant le pathos excessif, elle impose non seulement la mort de neuf millions à une mémoire universelle, mais elle transforme aussi cette survivance, ce bonheur de l’enfant pour sa mère unique en une valeur à laquelle l’humanité entière doit — ou devrait — s’accrocher, puisque c’est la seule issue possible. Le privé prend une valeur positive dans son intersection avec la mémoire historique. L’enfant fait le pont entre une rédemption collective et la possibilité d’un bonheur individuel renouvelé, même si l’effroi de la mémoire demeurera toujours présent.
car l’enfant est à lui seul
une humanité

l’enfant est un don
que tu n’attendais pas (p. 81)
Que certains des lieux communs des discours sur l’Holocauste soient repris ici ne nuit que peu à la réussite de ce que l’auteure cherche à nous dire. La tragédie collective, même passée, menace toujours de se reproduire et ses flammes de nous consumer, mais la peur est toute privée, toute intime, et muette. Le poème est la seule voie qui permette de dire à la fois la terreur et l’espoir.
C’est une poésie de l’enchaînement, où les idées se déversent les unes dans les autres, alternant entre ces trois lieux du discours. Le quotidien avec l’enfant se brise, les fissures apparaissent, et tout à coup on respire l’odeur des colonnes de fumée qui surplombent Auschwitz, la terreur est revenue, elle ne nous quitte jamais. Le bonheur est ce bref répit en attendant son retour. Et pourtant. Et pourtant, l’enfant est là, il rit en mangeant son déjeuner.
la vie est partout

même sans Dieu
la vie est un serment

que tu bégaies
à chaque envol
du matin (p. 53)
Et ce qui reste de l’Histoire, ce qui menace encore de nous écraser, tout cela qui devient affreusement banal à force d’être répété, c’est précisément qu’Auschwitz n’est pas un lieu unique. Malgré les musées là où on mourait par milliers, la réalité du massacre est aisément transposable, toujours prête à être réamorcée, à ressurgir comme elle l’a fait au Rwanda ou dans les Balkans, comme elle pourrait le faire parmi nous, ici pour dévorer nos enfants. Nous sommes encore et toujours captifs d’Auschwitz, de Buchenwald, de Dachau, de Birkenau, tant est grande la dette de notre imaginaire envers ces lieux de mort.
ce qui reste d’Auschwitz
est un décor
de banlieue

petite maison en brique
parfaite (p. 30)
Louise Dupré est l’auteure de plusieurs recueils de poésie, parmi lesquels Noir déjà (1993), Tout près (1998) et Une écharde sous ton ongle (2004). Ses deux romans, La mémoria (1996) et La Voie lactée (2001) ont connu beaucoup de succès tant auprès des critiques qu’en librairie. Elle a été professeure au département d’études littéraire de l’UQAM, où elle enseignait la création littéraire. Plus haut que les flammes, son plus récent recueil, s’est vu octroyé le prix du Gouverneur général du Canada dans la catégorie poésie pour l’année 2011.

mercredi 19 octobre 2011

Voix d'Amérique

C'est dans un séminaire de maîtrise que la réflexion que je continue ici au sujet de l'américanité et de ses avenues a commencé. Dans ce séminaire, conduit par René Lapierre à l'UQAM à la fin des années 90, cette question de l'écriture et de l'expérience américaine s'est avérée centrale au travail de plusieurs personnes.
L'un des autre participants de ce séminaire, et sans doute l'un de ceux dont les commentaires ont le plus influencé mon parcours depuis, Luc Larochelle, a depuis publié un bon nombre d'excellents livres (beaucoup plus que moi, certainement):
  • Ada regardait vers nulle-part (nouvelles), Les herbes rouges, 2000.
  • Amours et autres détours (nouvelles), Triptyque, 2002.
  • Ni le jour ni la nuit (poésie), Triptyque, 2004.
  • Fugues en sol d'Amérique (nouvelles), Leméac, 2006.
  • Hors du bleu (nouvelles), Triptyque, 2009.
  • L'Évadé (poésie), Triptyque, 2010.
Visitez son site et découvrez un auteur qui en vaut la peine.

mardi 11 octobre 2011

The Lessons

Joanne Diaz. The Lessons. Silverfish Review Press, 2011.
Le poème qui donne son titre à ce premier recueil de Joanne Diaz, « The Lesson », et un parfait exemple du travail que fait ici l'auteure à partir de et sur la mémoire : elle nous relate le souvenir qu'elle a d'avoir suivi des cours de natation alors qu'elle était enfant. Un sentiment d'exclusion domine l'anecdote, de ne pas arriver à vraiment prendre part à cette activité, jusqu'à la fin du poème, alors que la fillette, sous l'eau, regarde sa mère payer l'instructeur à travers le miroir frémissant de la surface :
[…] Under water,
leaves are paws, ferns are wings,
and your mother's skirt is an orange flame
melting the sap from the pool's pine edge
as she hands the weekly check
to Mr. Merrit. You rise to catch a breath
of her, and submerge yourself again.
Un voile se déchire. Dès que l'on plonge, qu'on voit les choses sous cet angle changé, elles semblent saisies d'un sens nouveau. Ce qui vient faire irruption, dans cet univers apparemment banal qui est celui de la mémoire, c'est une magie qui est précisément propre au monde quotidien, prenant ici la forme de cette image où le poétique explose et transcende le souvenir. Les flammes viennent embraser la jupe orangée de la mère, point culminant d'un voyage où chaque chose perçue est sujette à ce glissement, cet instant où les sens lâchent prise et où l'imagination prend la relève, la mémoire et la fantaisie devenant indivisibles. De même, dans « Clarinet », c'est la richesse du goût d'une orange qui demeure imprégnée dans l'anche d'une clarinette.
Every time someone peels an orange
something tears in me
as I remember the smell
of peels lingering in that velvet case,
their humidity staying
in the wood long after drying
into forgotten skins. […]
Cette puissance de la mémoire sensorielle, ce chavirement alors que le souvenir s'abandonne à une seule impression, en revêt le goût, l'éclat, le timbre, c'est tout ce qui vient construire cette sensualité du monde quotidien que Diaz vient ici illuminer pour nous. C'est aussi ce qui subsiste quand l'on remonte dans le temps, quand la clarté de la mémoire est perdue et que ne subsiste que cette magie de la perception.
Au fil des poèmes, le magique fait encore et encore irruption dans l'univers du familier, et l'on atteint cet instant précis du déraillement, là où la mémoire et la perception lâchent prise et se laissent emporter par l'image pure, par cet élan irrésistible, comme dans « Poem for a New Apartment », cette scène où un plancher luisant bascule et devient la surface miroitante d'un cours d'eau :
[…] Notice the floor's
dark grain weave a bay—no, a river—
of reflection, and somewhere
beyond this place an inlet, then an ocean
wide with shine, crowded
with fish, their light fins
sweeping the current. I saw
them move. I know.
Cette affirmation finale, ce I know si insistant, loin d'être la marque d'un délire, c'est l’émergence de la poésie où ce qui est capté est plus puissant, plus vrai que le réel : ces poissons qui viennent effleurer la surface du plancher, le grain sinueux du bois qui devient le mouvement visible de l'eau, tout cela est bien plus essentiellement vrai qu'un simple savoir objectif.
Plusieurs des textes ici rassemblés font appel à une mémoire qui dépasse celle qui appartient à l'auteure elle-même, liée soit à une mémoire culturelle liée pour elle à un monde hispanique pour lequel elle ressent une profonde nostalgie — c'est le cas, notamment, dans « Granada » ou dans « Bacalao », textes qui viennent évoquer par l'entremise du goût, par l'évocation sensuelle de plats inaccessibles en Amérique du nord, la mémoire profondément enfouie d'une Espagne lointaine — ou à un savoir quasi encyclopédique, qui trouve son sujet dans le détail en apparence le plus infime : l'anecdote de la mort par overdose de la femme de l'inventeur de la seringue devient l'expérience de sa souffrance insoutenable, de cette douleur qui lui creuse le visage, dans « Syringe ». Diaz rend compte de ce vide, cet espace qu'occupe la douleur et qui est devenu un gouffre, puis cet abyme de l'absence qui seul demeurera auprès du mari — en liant le clinique et l'intime :
[…] after you have seen the nets of nerves
unfurl in a revolt of heat; after you
and she have exhausted your search for a word
that encompasses the largeness of this woe;
remember this : the garden of lilacs
that she planted before the pain began.
Là où le travail de Diaz nous atteint de la façon la plus profonde, c'est quand elle arrive à rendre apparent, à porter à nos yeux cette beauté du monde ordinaire, non pas simplement celle du quotidien, mais de l'expérience du quotidien; ce n'est qu'à travers le mémoire déformant de la mémoire et du fantasme qu'une image, un instant où une couleur, une saveur, une sensation s'imposent à nous comme par mystère, nous saisissent, viennent prendre cette valeur qui sera celle dont elle rend compte, car c'est ici le regard, l'acte de perception qui font émerger la substance fugace du poétique.
Ce saisissement par l'image, c'est ce dont elle rend compte dans cette contemplation d'une photographie d'époque, dans « Chicago, 1950 »; l'expérience de la lumière, les arbres et la glace noire sur les eaux par une nuit d'hiver, un monde d'ombres qui n'est accessible que par cet instant parfait qui est celui de la photographie tout comme il est celui du poème :
[…] Perhaps for that moment,
the bare trunks and branches became shadows,
but not shadows—objects in space that had no
comparison to any living thing. And he took them.
Cet instant à la fois éphémère et éternel nous confronte à une profonde insuffisance, à ce dont quoi les mots n'arrivent pas à rendre compte, sauf en de rares instants où ils arrivent à traduire les sens, à rendre compte d'une simple image, d'une odeur qui serait autrement perdue à jamais. Mais sinon, ce qui reste n'est que cette fugacité d'un souvenir qui file entre les doigts, d'une chose qui se trouverait peut-être diminuée du simple fait de ce que l'on tente trop longtemps de s'y raccrocher.
I used to bring my notebook everywhere with hopes
of catching a word or phrase before it left the world.
I thought it meant something, saving all those
vanishings, but what good did it do? Hours with pen
supended above paper, waiting for a word that no one
could touch or taste. […]
Que valent donc ces choses, ces mots que l'on ne peut en bout de ligne jamais vraiment ressentir? Le succès de Diaz tient justement de ce qu'elle parvient à nous faire ressentir, si brièvement soit-il, l'éclat lumineux d'une jupe orangée, le goût d'un morceau de poisson sec, givré de sel.
*
Joanne Diaz, originaire du Massachusetts, est professeure de littérature au département d'études anglaises de Illinois Wesleyan University et a enseigné la création littéraire dans différentes institutions. The Lessons est son premier livre et s'est vu décerné en 2009 le prix Gerald Cable offert par Silverfish Review Press pour un premier livre de poésie.

samedi 24 septembre 2011

Testify

Joseph Lease. Testify. Coffee House Press, 2011.
La séquence qui ouvre Testify s'intitule très à propos « America » et se propose tout d'abords comme un commentaire sur le vide, sur ces discours vide de sens qui construisent une Amérique surmédiatisée. Un passage se fait dès les premières lignes, entre le monde personnel d'un vécu individuel et le spectacle politique de l'administration Bush — a clown explains the war, nous dit-il — de même que celui de la guerre en Iraq telle que présentée (proposée?) par CNN. Le point de vue qui vient unifier Testify est celui d'une tension entre le collectif et le personnel, le sujet de l'énonciation apparaissant comme le spectateur impuissant d'une Amérique qui tente de s'expliquer à elle-même, mais qui n'arriver jamais vraiment à se rendre intelligible. À travers le filtre du boob tube, les discours perdent leurs sens, s'empilent, s’emmêlent. Toujours pourtant se maintient l'illusion que l'on pourrait accéder à une réalité plus vraie, plus signifiante, par l'entremise des médias.
—and you can't get to the real world, they keep showing the real world on TV
L'une des images récurrentes — et il y en a beaucoup, la répétition structurant et contaminant chacune des quatre parties du recueil — est celle d'un œil énorme, spectateur idéal, capable d'absorber ce spectacle américain.
America, one extra summer night—he wants to (you know) feel like a giant eyeball—
Et ce qui est perdu aussi, ce qui ne peut survivre sous l'éclairage brutal d'un bulletin de nouvelles, alors que l'Amérique elle-même se brise en deux le long d'un clivage politique de plus en plus insurmontable, ce monde tangible où les saisons se succèdent — les saisons et les mois de l'année font maintes réapparitions tout au long du recueil : une nuit en été, une nuit en Décembre. C'est la trame du vécu individuel qui est noyée, où l'individualité se perd pour être remplacée par les discours économisants d'une nation qui semble accorder plus de valeur au succès qu'à l'existence vécue.
It's the end (of something), the name in the leaves, you were there with a glass of blue when my face split in half—voices you heard one night in one town, just beyond the strips of light—leaves on grass, leaves on grass, astonishing sky—
Le monde tangible, tissé d'expériences sensorielles qui étaient autrefois l'essence même de la vie Américaine — on n'a qu'à lire Hemingway pour s'en rendre compte, lui chez qui une partie de pêche solitaire devient la plus riche expérience qui soit, saturée de sensation, de textures, d'impressions, toutes liées à ce monde des choses concrètes — tout cela est remplacé et invalidé par un monde qui n'est plus satisfait que par son propre spectacle; il y a chez Lease le désir de préserver ce monde, de le sauvegarder pour l'autre, ce tu anonyme à qui il s'adresse.
In the rhythm of hair and sky, in this telling so rivers and ledges and horses, in this so hard then, so hard and free, in this telling cradled by slow moss, breathing September. I can't break again. I want to give you this.
Cette question du point de vue individuel, de l'authenticité de ce qui est la vie propre d'une personne, forment la source d'un exercices formel intéressant, où la perception et le discours de plusieurs personnes se trouvent télescopés les uns à travers les autres, comme une série de poupées russes :
Donna dreamt about Luke and when she told me she said I'm so glad I'm with you : great thought I : my love is dreaming about her ex and I find that comforting : here's the joke—These memories, which are my life—for we possess mothing certainly except the past—were always with me, says Charles
Ce passé, tout ce que l'on a selon ce Charles qui ne sera jamais qu'un nom, cette expérience prise en charge par un autre, dérobée par un autre, n'est-ce pas là justement l'appropriation d'une vie vécue par tous — et donc par personne en particulier — à travers la télévision et les médias en général.
On retrouve un côté sexy chez Lease, celui d'une proposition érotique qui est aussi, et il n'y a pas contradiction, un écho d'une société de consommation où c'est ici en partie l'histoire des États-Unis — Frank Sinatra, la conquête de la lune, tout cet imaginaire constitutif d'une américanité glorieuse et triomphante comme elle devait l'être dans les années soixante — qui est mise en jeu. Le ton est à la fois tendre et humoristique :
O cream, a warm
night in December; your hips sing, dinner makes a naughty dream—let's say I was Frank Sinatra's toothpaste, let's say I lead a life of crime—O cream, park your raspberries
on my moon—
Il y a ici quelque chose de convenu, des passages qui ne manqueront pas de rappeler tant d'autres discours liés à une opposition libérale au mouvement néo-conservateur qui trouva son apogée lors du premier mandat de Georges W. Bush — Lease dit avoir été absolument horrifié par cette administration qui divisa le public américain de façon si profonde — mais la puissance de Lease est de transformer cette convention en une force, de se l'accaparer et de lui donner forme, de faire de la révolte politique le tissus même de son travail poétique. Il faudrait dire que le matériel de base dont il se sert dans certaines sections n'est pas le langage, mais le message, le langage déjà pris en charge par les médias, que Lease arrive à s'approprier et à retourner vers la collectivité.
Les moment dont la beauté est la plus saisissante, cependant, sont ces instants où la politique disparaît pour laisser place à ce monde dont il veut rendre compte, dans un langage dont la clarté et la précision sont déchirants.
When the soul opens, there will be a cheap hotel : tenderness the heart of the sky, the town, and not to hear any misery in the sound of the wind—you came back to the world— the green world, the fertile world, the corn world, the gun world
You came back to the world and there was
nothing there
Joseph Lease est l'auteur de trois autres recueils de poésie : Broken World (2007), Human Rights (1998), et The Room (1994). Son poème « Broken World » a été sélectionné pour The Best American Poetry, publié en 2002. Il enseigne la création littéraire et est président du programme MFA en création littéraire au California College of Fine Arts à San Francisco.

vendredi 16 septembre 2011

Viendras-tu avec moi?

René Lapierre. Viendras-tu avec moi? Les Herbes rouges, 1996.
Comme c'est le cas avec plusieurs des recueils que René Lapierre a publié chez Les Herbes rouges entre 1994 et 2008, ce qui frappe tout d'abord à la lecture de Viendras-tu avec moi?, c'est la nature hybride — l'exigence de l'hybridité — de son travail, mêlant brefs passages narratifs et fragments épistolaires à des passages plus ouvertement poétiques en vers. La fiction, ses personnages, sa précipitation vers une centre émotif d'une intensité maximale, est ici mise au service du travail poétique, vient en définir le ton, l'éclairage. Oscillant entre des segments mettant en scène des personnages qui semblent jaillir des pages d'un roman noir, un longue série de fragments épistolaires et quelques passages versifiés où intervient un je qui laisse entrapercevoir le sujet de l'énonciation, le recueil forme un tout indivisible, un ensemble d'éléments en apparence disparates et incompatibles dont l'équilibre fragile fait la force du recueil dans son ensemble.
La majorité des segments narratifs se présentent presque comme de très brèves nouvelles, la plupart ne dépassant pas une page, qui ne sont annoncées par aucun titre et ne sont pas présentées dans un ordre dont la logique est immédiatement apparente. Lapierre conduit l'action de chaque segment non pas jusqu'à un dénouement, mais plutôt jusqu'à cet instant d'impact maximal, un nouement, pour ainsi dire, ce paroxysme émotif qui mène au vertige.
Il disparut dans l'escalier en sifflotant une chanson de braconnier. Pamela laissa de nouveau glisser son pied jusqu'à la main d'Édouard et lui sourit malicieusement. « Vous irez donc chasser, beau militaire? »
Elle s'approcha de lui; sa boucle de satin se défit.
Les personnages de Lapierre — détectives, voyous, femmes en détresse, paumés issus de toutes les classes sociales — nous racontent une Amérique étrange, un peu déjantée, un monde qui vibre avec une intensité émotive entre le spleen et l'affolement.
Alors elle éteignit, traversa la pièce sombre et s'allongea en travers du lit. Peut-être songea-t-elle encore à deux ou trois petites choses, qui sait. Mais cela n'a guère d'importance, bien sûr. Plus maintenant.
Le lieu où nous abandonne chacun de ces passages se trouve bien au-delà de la perdition, là où le désespoir en vient à se charger d'une puissance presque érotique. Cet espace le plus souvent nocturne qu'ils habitent, c'est celui d'une Amérique fantasmée, issue de romans policiers, de films où les banlieues gentrifiées se superposent aux appartements de ceux qui n'ont que leur désœuvrement. Lapierre, en revêtant le point de vue et le langage de ses personnages, certains desquels réapparaîtront par ailleurs dans les recueils ultérieurs, fait preuve d'une retenue qui fait écho au fameux dicton hollywoodien : show, don't tell. Cette écriture légère, où une atmosphère est saisie comme un oiseau en vol, nous offre autant d'instants de vertige fugace, le lecteur passant d'une scène à une autre, d'un naufrage au suivant.
Par contraste, d'autres passages, fragments d'une correspondance imaginaire entre deux amantes, nous racontent eux aussi ce même affolement, mais cette fois avec un abandon dont le résultat est à la fois pathétique et chargé d'une puissance poétique acide :
À présent je suis couchée comme une bête près de ma mort, je rêve d'avoir bientôt rendu toutes mes larmes et perdu toutes mes eaux. En attendant j'étreins avec bonheur, avec honte, tout ce qui porte ton parfum : murmure froid de ton haleine, vent de prières où mon néant sera devenu toi.
Ce néant, celui auquel s'identifie l'auteure anonyme de ces lettres fragmentaires, c'est la puissance centrale qui se dissimule sous le mot amour. C'est un gouffre en même temps que c'est un espoir.
Mon corps regagnera bientôt son lit de corail, loin, loin de cette dalle obscure où se perdra ce qui me reste, où je ne serai plus que ta nuit : ce moment le plus ouvert et le plus tendre, mon abandon, mon dépays.
Alors tu m'étreindras de toutes tes forces, et tu m'arracheras de moi.
Cet arrachement, à la fois anéantissement et union, c'est là peut-être le cœur même du travail que Lapierre effectue ici, et le point de vue kaléidoscopique que nous offre une multiplicité de personnages et de voix, c'est cela même qui donne profondeur à son propos.
La façon dont Lapierre a recours au vers libre souligne pour nous l'exigence de la parole poétique, doublement mis en contraste ici, entre ces deux voix. Ce que seule la poésie peut dire, c'est cela même, l'amour, la douleur, un désir qui fait trembler, tout ce autour de quoi le récit ne peut que tourner sans jamais explicitement l'atteindre.
Serai-je jamais que ce désordre
qui s'agite en moi?
Craie et charbon, poussières sommeillant
informes dans l'argile et la pierre
la plus noire?
Rien que cela?
Le langage poétique — et, plus particulièrement, le vers — s'approprie cette fonction qui lui est unique, celle d'exprimer ce qui autrement ne peut que demeurer indicible, l'âme, l'amour, la terreur et l'impératif de trouver un union avec l'autre. C'est ici que peuvent être nommées ces forces qui demeureraient autrement diffuses, ce qui vient saisir ce moi qui parle. Comment autrement, à travers cette vision d'une Amérique rétro, toute tissée de formica et de désespérance, comment pourrait-on dire le mot « Ange », le mot « âme », les dire et qu'ils aient encore un sens au-delà de la mièvrerie? Ou cela n'est-il justement possible que par ce détour et cette rencontre avec les criminels, les femmes désespérées, les voyous qui tentent l'espace d'un instant de jouer les héros, grâce enfin à ce contraste qui seul permet de dire cette aspiration, ce vertige au bord de l'abîme :
À présent mon ciel-améthyste,
mon horizon perdu,
à présent immerge-moi
donne-moi
donne-moi le repos.
René Lapierre, né en 1953, est professeur à l'Université du Québec à Montréal, où il enseigne la création littéraire. Il est l'auteur de plusieurs essais, parmi lesquels Écrire l'Amérique (1995), L'atelier vide (2003) et L'entretien du désespoir (2008). Ses nombreux recueils de poésie incluent : Là-bas c'est déjà demain (1994), Love and Sorrow (1998), Piano (2001) et Traité de physique (2008). Son recueil le plus récent, Aimée soit la honte, a été publié chez Les Herbes rouges en 2010.

samedi 10 septembre 2011

L'horizon et les frontières

Ce projet, écrire sur des recueils de poésie, tenter d'en capter l'essence tout on évitant d'en faire l'analyse, est né dans le cadre d'un séminaire sur la poésie américaine contemporaine conduit par Michael Snediker à Queen's University in Kingston. L'une des questions centrales que j'ai eue à me poser dans le cadre de ce cours a été de découvrir comment on parle de poésie. La chose peut paraître étrange : être étudiant en Lettres, n'est-ce pas justement être capable de parler de littérature, peut importe le genre ou la forme?
La poésie pose un problème particulier, en ce sens que l'analyse en est souvent plus facile que la lecture elle-même : n'est-il pas beaucoup plus facile d'analyser le poème, d'en faire l'examen — l'autopsie, peut-être — employant pour ce faire ce discours convenu et hermétique propres aux études littéraires, que de chercher à se mesurer à cette unité plus complexe et plurivoque dans laquelle le poème s'offre au lecteur : le recueil. Est-il possible de parler de la lecture du poème sans en faire l'analyse?
Le fait est que je n'ai que partiellement trouvé un réponse à ma question initiale — comment parle-t-on de poésie? — mais que j'ai à tout le moins fais la découverte suivante : parler de poésie, c'est beaucoup plus un parcours qu'une destination.
*
Le choix de texte que je commenterai ici surprendra certains, mais se veut la continuation des recherches que j'effectue dans le cadre de mon doctorat. Que la poésie québécoise soit liée de façon intime à une américanité qui la ceinture — géographiquement, historiquement, mais surtout idéologiquement — cela ne fait pour moi aucun doute. Pour parler de poésie contemporaine, il faut, pour ainsi dire, comparer les oranges avec les oranges. Malgré des différences importantes au niveau des institutions, le Québec a beaucoup plus en commun avec les États-Unis — et, qu'on ne l'oublie pas, avec le Canada anglais — qu'avec une Europe face à laquelle nous sommes à la dérive, malgré le Français qui nous maintiens en orbite autour de la France, notre relation avec la vieille métropole n'étant que trop rarement interrogée, sondée, questionnée.
Comment peut-on en être arrivé à un point où tous les étudiants peuvent être familiers avec Baudelaire, Rimbaud, Mallarmé, avec toute ce vaste — et magnifique — héritage qui est celui des classique de la littérature française, tout en ignorant ces autres, ces Walt Whitman, Emily Dickinson, ces Robert Frost et ces Wallace Stevens?
Le projet national québécois — cet éternel projet auquel nous ne sommes probablement pas près de trouver un réponse, ou du moins un réponse qui permette de clore le débat de façon satisfaisante pour une majorité — en se tournant vers l'Europe, a cherché à s'isoler de ce monde-ci, de cette Amérique dont on aime tant dire du mal : bombardés comme nous le sommes de séries télé américaines, de films américains, d'une littérature populaire américaine, quelle est la place du Français autrement que comme support de traduction, en dubbing ou en sous-titres?
Mais est-on à Montréal et à Québec comme on l'est à Paris? Ou ne devrions-nous pas chercher à nous reconnaître davantage du côté de Toronto, de Vancouver, de New York, de Dallas, de Boston? Car malgré la distance imposée par la langue, ne reconnaissons-nous pas en nous une fibre commune, une Amérique ressentie dans ce qui est communs à nous nord-américains : nos autoroutes, nos maisons en banlieue, nos familles nucléaires, nos hypothèques et nos voitures, notre hockey, notre baseball, notre territoire où nous québécois (canadiens-français, pour être plus précis historiquement), plus que bien d'autres, avons inscrits nos noms français dans les lieux où l'idée même d'une Amérique française n'est plus qu'une mémoire lointaine, une dérision?
*
C'est donc pour ces raisons-là que j'ai choisi d'attaquer ces textes, qu'ils soient écrits en anglais ou en français, qui constituent cet ensemble informe, plurivoque et difficile, ce que l'on appellera la poésie nord-américaine contemporaine. Tout en choisissant d'être ouvert dès le départ à lire et à commenter des textes écrits en français ou en anglais, je me suis imposé certaines limites. Il y a d'abord celle de l'américanité elle-même; il sera question ici d'auteurs qui vivent et écrivent en Amérique du Nord. Bien que j'aborderai une pluralité de voix, et bien que je rencontrerai différentes optiques, je tiens à aborder chaque auteur de façon individuelle, on his own terms; je veux surtout éviter d'adopter le point de vue d'une école de pensée particulière : gender studies, african-american studies, LGBT studies, ou même celle des études québécoises. Ce n'est pas dire que mon optique se veut celle de la majorité, mais plutôt tenter de rester ouvert à des voix qui n'ont souvent en commun que leur individualité.
La seconde contrainte, beaucoup plus artificielle, est d'ordre temporel. Je me limiterai à des recueils publiés après 1990. Non seulement la majorité de ces auteurs sont encore en vie et poursuivent de façon active un travail poétique, mais la majorité d'entre eux n'auront pas encore été récupérés par l'institution littéraire. Ils n'appartiennent pas encore à une histoire, à un corpus défini; leur place, le plus souvent, demeure à définir. Ces auteurs présentent aussi l'avantage important que l'on a peu écrit à leur sujet. La discussion, en ce qui les concerne, ne fait que commencer.

vendredi 9 septembre 2011

The Wild Iris


Louise Glück. The Wild Iris. HarperCollins, 1992.

Le premier poème de The Wild Iris ouvre le paradigme qui construira le recueil en entier : une vision du ciel printanier, vu à travers les branches de pin; une lumière furtive, à demi-masquée par la végétation. La fleur du titre émerge du sol, après un long hiver dont la fin marque l'émergence d'une voix venue nous dire la terreur de la survivance.
It is terrible to survive
as consciousness
buried in the dark earth.
Même dès les premières lignes, alors que les fleurs qui assurent la narration de la majorité des textes dans The Wild Iris reviennent à la vie pour se baigner dans la lumière encore faible du soleil, l'émotion dominante est celle d'un deuil : quelque chose, dès le départ, est perdu. Une impression qu'un sens d'appartenance a été perdu, que les fleurs se trouvent à la fois lancées et abandonnées dans le monde par un créateur qui fera figure de jardinier, et avec lequel elles désirent reconstruire une proximité. Mais cette séparation, et le silence qui la souligne, est irréparable, comme dans l'une des dernières sections de la série "Matins" :
I am ashamed
at what I thought you were,
distant from us, regarding us
as an experiment: it is
a bitter thing to be
the disposable animal
Le succès du travail de Glück tient peut-être en partie de la façon dont elle déjoue le fait que ce sont ici des fleurs qui parlent, et de la surprise qui en découle pour le lecteur. Une tension s'installe entre la terre d'où cet iris émerge dès la première page, et cet ailleurs, peut-être le ciel, où règne un jardinier — identifié à Dieu, présence démiurgique qui reflète à la fois les aspirations des fleurs — et les nôtres — de même que leurs craintes. Cette conversation résulte toujours en un échec; les prières des fleurs demeurent ignorée alors que ce jardinier répond avec des sermons que les fleurs sont à jamais incapables d'entendre, bien qu'elles en soient les destinataires. C'est cet échec, cette impossibilité d'établir une connexion avec l'Autre, de répondre à ses besoins, qui se trouve au centre même de ce que Glück cherche à communiquer. La voix du démiurge exprime très bien cet profonde incommunicabilité dans "Sunset", à quelques pages de la fin de The Wild Iris, alors que l'été s'achève :
My great happiness
is the sound your voice makes
calling to me even in despair; my sorrow
that I cannot answer you
in speech you accept as mine.
Ce dieu/jardinier n'arrive jamais à éprouver de satisfaction face à sa création. Cette vision qu'il avait, ce ce qui dans sa création aurait dû être amour pour lui se perd; les fleurs ne verront jamais au-delà du monde qui les entoure, création à perte de vue :
And all this time
I indulged your limitation, thinking
you would cast it aside yourselves sooner or later
thinking matter could not absorb your gaze forever —
Cette humanité qu'il voit à jamais replié sur elle même, éperdue d'apitoiement, occupée à lamenter son sort, comment ne pas en être déçu? Mais cette supposée incompréhension dans laquelle les fleurs se perdent, ne masque-t-elle pas que le monde ne pourra jamais avoir accès à quoi que ce soit qui le dépasse, c'est-à-dire, que le monde est sa propre limite? Ce qui pour le créateur est une profonde insuffisance, pour la créature, c'est un douloureux arrachement.
La construction temporelle du livre est complexe, suivant à la fois le cours d'une journée — les prières matinales, « Matins », faisant progressivement place à celles qui marque la fin d'une journée, « Verspers », jusqu'à la tombée de la nuit — et celui des saisons, du printemps à l'automne, quand le lys blanc est la toute dernière fleur qui reste, avant que l'univers végétal ne retourne au sommeil de l'hiver. La vie semble éternelle en été, et son déclin éventuel avec l'arrivée des temps froids automnaux marque la fin du livre, le retour au début du cycle.
Hush, beloved. It doesn't matter to me
how many summers I live to return :
this one summer we have entered eternity.
I felt your two hands
bury me to release its splendor.
L'opposition entre la vie et la mort, l'été et l'hiver, c'est aussi celle de la voix et du silence : revenir à la vie, c'est aussi revenir à la parole.
whatever
returns from oblivion returns
to find a voice
Cette parole que les fleurs s'approprient — il n'est pas superflu de répéter que ces fleurs qui parlent ne le font à aucun moment sous le signe du kitsch; la force du recueil provient justement de ce que cette parole a d'impitoyable et d'amer, du fait que cette beauté demeure jusqu'à la fin trompeuse — elle se tourne toujours vers le ciel. La Foi, pour Glück, est un amour désespéré, un amour qui ne trouve jamais de réponse; les fleurs, le jardinier, ce sont là deux pôle d'une conversation qui demeure impossible.
We never thought of you
whom we were learning to worship
We merely knew it wasn't human nature to love
only what returns love.
Le ciel face auquel on se tourne, dans sa grandeur infinie, est d'une immensité à laquelle on ne peut se mesurer. De là la certitude de ne pas être à la hauteur, ce dégoût d'elles-mêmes que les fleurs éprouvent. L'infranchissable distance entre les fleurs et le jardinier cosmique les définit; ce regard languissant tourné vers le créateur les brûle. Si la Foi qu'implique cette contemplation du ciel consume, elle le fait parfois jusqu'à la destruction.
I knew nothing; I could do nothing but see.
And as I watched, all the lights of heaven
faded to make a single thing, a fire
burning through the cool firs.
Then it wasn't possible any longer
to stare at heaven and not be destroyed.
Derrière la simplicité du langage que Glück décrit comme l'un des éléments centraux de son œuvre se cache une force de frappe émotionnelle dévastatrice. "The Red Poppy", par exemple, après nous avoir laissé lire une rafraîchissante légèreté, nous abandonne à une finale qui nous ramène à ce ton si caractéristique du recueil :
Because in truth
I am speaking now
the way you do. I speak
because I am shattered
Louise Glück, née en 1943, est l'auteure de nombreux recueils de poésie, parmi lesquels Vita Nova (1999), récipiendaire du prix des lecteurs du New Yorker, et The Triumph of Achilles (1985), qui s'est vu octroyé le National Book Critics Circle Award. The Wild Iris a remporté le prix Pulitzer en poésie pour 1993. Elle habite à Cambridge, Massachussets, et enseigne à Williams College.

vendredi 2 septembre 2011

Sky Burial

Dana Levin. Sky Burial. Copper Canyon Press, 2011

L'image dominante tout au long de Sky Burial est celle du cadavre dont la chair est éliminée jusqu'à ce que seuls les os demeurent; c'est aussi celle d'un passage. Dans son recueil, Dana Levin fait référence de façon explicite à un rituel tibétain, cet « enterrement dans le ciel » au cours duquel le corps, le sol glacé et rocheux ne permettant pas l'enterrement des morts, est emporté littéralement morceau par morceau par les vautours.

Lors d'une entrevue donnée en 2008 à The Kenyon Review, alors qu'elle écrivait Sky Burial, , Levin affirme que l'un des problèmes qu'elle confronte dans son œuvre est celui de la distance : « we have the luxury and will to keep the world out. » (Nous avons à la fois le luxe et la volonté de garder le monde à l'extérieur.) Ce qui est mis en jeu au cours de cette rencontre avec la mort — avec les morts eux-mêmes — c'est non seulement le vieil adage, connais-toi toi même, mais aussi, de façon plus importante, connais-les, eux, les morts. Lors de cette même entrevue, Levin parle des deuils qu'elle a elle-même eu à traverser : « My parents died within six months of each other in 2002, and this has impacted everything I'm working on. My mother's death, so soon after my father's, was particularly sudden, shocking, and unexpected. […] Astonishingly, just as I was feeling myself coming back to life, as it were, my sister passed away in the summer of '06, at the age of 46. (Mes parents sont morts tous deux en l'espace de six mois en 2002, et cela a eu un impact important sur mon travail d'écriture. La mort de ma mère, si tôt après celle de mon père, a été particulièrement soudaine, choquante et inattendue. […] De façon incroyable, alors que je me sentais à peine revenir à la vie, d'une certaine façon, ma soeur est décédée à l'été 2006, à l'âge de 46 ans.) Les morts, pour Levin, ne sont jamais des inconnus anonymes; la mort n'est jamais cette chose distante et abstraite. Ce dont elle nous parle, c'est de l'impermanence de ceux qui nous entourent, de notre propre finitude, refusant toujours de se détourner du monde matériel, de la présence physique des morts, de leur transition progressive d'un type d'existence vers une lente disparition. On ne sauve personne; notre désir de garder la mort à distance, de la repousser, se solde toujours par l'échec :
They took you in an ambulance even though you were dead,
They took you
and my sister said
Why are you saving her if she's dead?
Une attaque passionnée contre les horreurs de la filiation, White Tara est l'un des textes les plus puissants du recueil, alors que sujet de l'énonciation affronte sa mère décédée, son discours déchiré entre ce qu'elle peut dire et un innommable dont la transgression ne se fait qu'avec peine :
I hated her and then she died—
she died and then I
couldn't tell her it was all a lie—

Blood beading the perimeter
of an almond-shaped wound
as the eye of compassion slits through
Dans un autre poème, Pyro, l'auteure met deux univers en parallèle : celui, à la frontière de la mythologie, des funérailles viking, celles de guerriers morts que l'on envoie vers l'outre-monde dans un drakkar en flammes, et celui, plus familier et prosaïque, d'un pyromane qui brûle des animaux morts, les aspergeant d'essence et, à travers le brasier, les fait passer de notre monde à l'autre, d'un état de cadavre à une délivrance qui n'est jamais tout à fait d'ordre spirituel.
And you put it in a tire, your
viking boat,
you set it on fire and it kept afloat
as it sailed down the river—
to the heaven of not being
here.
Sans jamais trop s'éloigner de la matérialité de la mort, cette façon dont les morts nous sont présents de la manière la plus évidente, elle ne nous laisse pas oublier que ce qu'il y a de plus humain dans notre réaction face à la mort est peut-être cette mythologie même, la possibilité d'une survivance au sein de laquelle la destruction du cadavre n'est rien de plus que la transition d'une étape de l'existence vers la prochaine. Même si elle a recours à un certain exotisme des rites funéraires, de ce drakkar viking aux rite tibétains en passant par un temple shinto dédié aux fœtus avortés et aux enfants morts peu après leur naissance, Levin ne s'éloigne jamais du corps, de cette présence concrète. Elle nous rappelle qu'il s'agit là d'une vérité universelle, que personne ne survit, que l'on ne peut jamais être sauvés autrement que par un sursis des plus temporaires, que cette transition de la vie à la mort qui, pour le corps, prends le plus souvent la forme d'une lente décomposition, n'est jamais autre chose qu'une confrontation toute personnelle ne pouvant jamais être rendue tout à fait distincte de l'autobiographie sans perdre son essence propre, sans être réduite à une matérialité neutre, détachée.

Dans le poème This from That, l'image centrale est celle de la chrysalide, alors que la larve doit se détruire elle-même, se digérer littéralement pour se réduire à quelques cellules intactes, l'essence minimale de ce qui deviendra l'insecte adulte. Ce processus douloureux est le seul passage vers une vie au-delà du stade larvaire, pour le meilleur ou pour le pire. La destruction est la condition nécessaire de l'éclosion.
concerto notes
from finger-scales,
survivor guilt
from firestorms
apologies
from bombing runs

Through the open back door,
bending a petunia,
Papílío machaon
drinking deeply
and long
Ce passage, pour les humains, est aussi accompli par l'entremise du corps, comme dans Bardo, poème qui, comme le titre le suggère, est une variation sur le thème de la mythologie tibétaine — le tunnel à travers lequel les âmes quittent le monde matériel et effectuent leur migration vers l'au-delà. Pour Levin, de façon frappante, le corps lui-même devient le lieu de ce passage :
You push her shoulders back against the trunk of the tree,
her chest so cold it cracks—
so you can slip yourself through,
To the wood she's been walking,
wondering where the living have gone.
Dana Levin, née en 1965, est l'auteure de deux autres recueils de poésie : In The Surgical Theatre (1999) et Wedding Day (2005). En 2007, elle fut récipiendaire d'un Guggenheim Fellowship. Elle est professeure associée en création littéraire et en littérature au College of Santa Fe.